2020 : Excellent travail !

 

 
Si l’on lit son millésime comme une fraction, cette nouvelle année semble s’auto-décerner une excellente note, prometteuse, certes, mais délivrée de façon peut-être prématurée, puisque pas une ligne du devoir à rendre pour le 31 décembre 2020 n’est encore écrite. Attendons donc, avant de lui décerner ce satisfecit, qu’elle se montre plus à la hauteur des espoirs suscités que ne le furent ses condisciples, les Années Précédentes, somme toute largement moins bonnes que nous ne les avions appelées de nos vœux.
Si je l’interprète comme une indication horaire, me voilà contraint à commencer l’année avec un doigt sur le nez, ce qui n’est guère pratique – vous en conviendrez – pour se remettre au travail. En effet, ma fille et ses copains de classe ont pris l’habitude, chaque fois que la pendule numérique marque une heure « gémellaire » (11h11, 13h13, 15h15…) de poser leur index sur leur appendice nasal, au grand dam de leur professeur, et quel que soit le sujet abordé en cours. J’ai contracté depuis quelques années cette pernicieuse manie, à laquelle je m’adonne dès que je remarque qu’il 09h09, 17h17 ou, plus dangereusement, 20h20 ou 21h21, heures où se déroulent généralement les concerts de musique baroque…
Avec mes collègues de Faenza, il ne nous encore jamais arrivé de nous livrer à ce rituel sur scène où, fort heureusement, il est peu fréquent que nous ayons l’occasion de regarder l’heure. L’année 2019 en aurait pourtant fourni d’assez nombreuses occasions puisque, rien qu’au sein de Faenza, nous avons affronté plus de 70 fois, entre 20h et 22h, les regards du public. De l’Arsenal de Metz au Château d’Eu en passant par le Théâtre de Valence, du Festival de Hardelot au Festival de Ribeauvillé en passant par celui du Mont-Blanc, de Dubaï à Rome en passant par Timisoara, du Château de Versailles à l’Auditorium de Sainte-Geneviève-des-Bois, de la Péniche Adélaïde voguant sur les canaux du Grand Est à l’Eglise Saint-Thomas-d’Aquin, de l’Aubrac au Charolais, de l’heure de Polichinelle à celle de Charles Dassoucy, je jure qu’aucun spectateur ne peut se vanter de nous avoir surpris, en 2019, le doigt sur le nez.
2020 évoque encore, multipliée par deux, cette merveilleuse « vie 2.0 » que nous présentent complaisamment les médias. Dans cet univers augmenté, nous aurions donc de surcroît, en 2020, l’opportunité de nous dédoubler : 2.0 x 2 ? Est-ce bien souhaitable, compte tenu des dommages que notre manière de vivre – même quand elle reste modeste et frugale – cause aux éco-systèmes et au vu des dangers qu’elle fait peser non seulement sur notre avenir et sur celui de notre descendance, mais aussi sur notre présent même ?
2020, en tous cas, présente à mes yeux un indéniable attrait graphique. Cette succession harmonieuse de deux et de zéros m’évoque deux reptiles fièrement dressés sur leur séant (en admettant qu’ils en aient un) alternant avec deux œufs eux aussi debout, prêts à l’action (en admettant qu’un œuf puisse agir).
 
Les serpents me ramènent, comme au premier janvier 2019, au thème de la nature, celle qui disparaît sous nos yeux dans l’hécatombe du vivant qu’aucune de nos bonnes résolutions de début d’année n’est capable d’endiguer. Alors que disparaissent à un rythme sans cesse accéléré – effarant – les espèces merveilleuses qui ont nourri nos mythologies enfantines (rhinocéros, koalas, orangs-outans, girafes), des animaux plus modestes, moins spectaculaires mais tout aussi nécessaires à l’équilibre de la biosphère, tombent en silence : batraciens, reptiles, vers de terre…
Les œufs sont pour moi, en quelque sorte, des zéros habités. Des nullités grosses de promesses. Des néants pleins d’avenir. Qui exista d’abord, de l’œuf ou… du serpent ? Dans 2020, je vois donc deux œufs, ou peut-être deux fois deux œufs. Une année, en tous cas, placée sous le signe de l’œuf, du zéro, du vide. Et je m’en réjouis. L’année 2019, avec ses dizaines de concerts, ses créations, ses enregistrements, ses tournées en péniche et toute la logistique qui va avec, fut tellement remplie qu’elle nous a laissés… un peu vides. Si 2020 est moins dense, peut-être nous remplira-t-elle ?

Du point de vue purement mécanique, il est facile de comprendre que, nos ressources énergétiques n’étant pas infinies – pas plus que ne le sont celles de notre planète – deux personnes (à savoir un directeur artistique et un administrateur) ne peuvent indéfiniment fournir le travail de quatre. Pour rester sur la symbolique des nombres : 2 x 0 = 0. De gré ou de force, que ce soit au niveau de la vie d’un individu, d’une entreprise ou d’une planète, il faut à un moment envisager de lever le pied.
2020 nous propose donc, de par la forme si particulière de sa déclinaison en chiffres, de multiplier les vides, d’allonger les silences, de laisser faire le temps, et j’ai envie de suivre cette injonction. J’ai envie de me mettre à l’écoute et de laisser naître, au cœur de l’hiver, ce qui ne demandera probablement qu’à éclore aux alentours du printemps, ou même plus tard encore. Je sens poindre, en particulier, un spectacle qui porterait, justement, sur le silence, cette précieuse matière première dont des chercheurs nous disent qu’elle est en voie de disparition dans le monde, et que certaines musiques gardent encore précieusement en leur sein comme des reliques d’un monde où l’on savait encore écouter.
Ecouter, même si l’On n’entend rien dans ce bocage, comme le chante Francisco Mañalich dans l’une des chansons de notre Délire des lyres, programme avec lequel nous commencerons cette année sous forme de joyeuse épiphanie, puisque les Rois Mages des Éditions de l'Hortus nous apporteront l’enregistrement tant attendu de ce programme hors normes où, une fois encore, nous faisons à deux le travail de quatre. Venez donc nous retrouver ce lundi 6 janvier à Ivry-sur-Seine, où nous aurons le plaisir de vous souhaiter de vive voix une excellente année 2020 !
 
Cotignac, le 1er janvier 2020.
 

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